Si l’affaire de l’enlèvement du nain était réglée puisque les coupables – les pirates, aux yeux de tous – avaient été identifiés, l’équipage du Liberté n’en demeurait pas moins inquiet. L’affaire avait été rondement menée : Savoir qui était le rescapé et à qui appartenait le navire échoué sur les cotes de l’Ile aux Murmures avait été un jeu d’enfant. De même, conduire les membres du Comptoir Nain et leurs désintéressés alliers relevait de la simplicité la plus élémentaire : la populasse était naturellement encline à faire porter les maux de ce monde aux individus ne se pliant pas aux mêmes règles qu’eux. Ce fut donc sans surprise aucune que le capitaine du Liberté entendit les bruits de courses et celui des armures s’entrechoquant depuis l’intérieur du Tempête. Armes aux poings, les arrivants avaient réclamé la liberté du pauvre bougre qui, choqué et terrorisé, semblait bien incapable de faire quoique ce soit seul. L’équipage avait constaté avec amusement la crainte qu’avait eue certains de voir une quelconque récompense leur filer sous le nez, lorsqu’ils avaient appris que seul un mage Elfe accéderait au précieux livre servant de monnaie d’échange. Quoiqu’il en soit, le capitaine avait eu ce qu’elle voulait et avait laissé ces braves gens se jeter sur la marchandise rendue. Elle avait également pris la peine de conduire auprès du blessé les deux personnes s’inquiétant tout de même de sa santé.
Tout ce petit monde était désormais soulagé : les pirates avaient tenu parole.
S’ils ne respectaient que peu de choses, le marchandage et les paris avaient néanmoins pour les pirates un caractère sacré : le vol était une chose, mais un accord devait être respecté et n’être brisé qu’en cas d’extrême urgence.
C’était justement un accord qui avait mis l’équipage dans un tel embarras. Car si les pirates étaient pointilleux sur un accord passé, ils n’hésitaient pas par moment à remettre les responsabilités de paiement aux générations futures. Ainsi donc, la hantise de tout bon bourgeois était de se découvrir un ancêtre pirate, entraînant la possibilité de voir un jour débarquer chez soi un individu réclamant son dû.
L’argent ou les services étaient une chose, mais il en étaient d’autres que le capitaine du Liberté évitait de faire peser dans la balance lors d’une affaire, à savoir ce qui en général était unique ou allait par paire : un bras, une jambe, un œil, son âme… en résumé sa propre personne. Or tous n’avaient pas cette prudence, et un matelot du Liberté se retrouvait aujourd’hui avec pour délicat problème celui de régler l’addition de l’un de ses aïeux. Cela n’aurait été que broutille si, en guise de paiement, il ne s’était agit de l’âme dudit matelot, que Zaken le Non-Mort réclamait ardemment. Comme un malheur n’arrive jamais seul, il se trouvait que le Maudit comptait bien comprendre le Liberté et son équipage parmi les vaisseaux de sa flotte.
Mais Nute, guère encline à obéir à un autre amiral que Reylin Linerty, ne l’entendait pas ainsi. Le capitaine rencontrerait donc Zaken – a-t-on réellement le choix, lorsqu’une goule apparaît dans votre cabine, fermée de l’intérieur, pour vous annoncer qu’un pirate mort depuis des siècles souhaite prendre le thé avec vous ? – et tenterait de sauver sa peau ainsi que celle de son équipage.
Le Non-Mort prévoyait également d’étendre son influence jusque dans Giran et, bien que le capitaine n’ait aucune sympathie pour les occupants de la ville, l’éventualité d’avoir le Maudit comme voisin direct l’enchantait encore moins.
Fort heureusement pour ce petit monde, Le capitaine avait désormais en sa possession les très riches heures de Zaken le pirate, à savoir son carnet de bord. Certes l’ouvrage était codé, mais la pugnacité du capitaine alliée aux talents de traducteurs de Linderoth rendait la chose sinon plus simple, au moins surmontable. Malheureusement, le temps filait à grande vitesse, et l’heure de la rencontre approchait. A ce jour, le capitaine du Liberté n’avait pas encore trouvé la clef qui lui permettrait de négocier avec le Maudit, et la jeune femme commençait à compter avec désarrois les jours qu’il lui restait à vivre...
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